Le docteur Agnès Brion est psychiatre et spécialiste du sommeil, notamment chez les jeunes. Elle explique comment bien gérer ses rythmes pour éviter insomnies et fatigue. Une question de connaissance de soi !
Apprendre à gérer son sommeil
De plus en plus de jeunes ont des difficultés pour bien dormir. A quoi est-ce dû selon vous ?
Dr Agnès Brion : Du point de vue physiologique, deux mécanismes peuvent intervenir. D’une part, à l’adolescence, le sommeil évolue dans sa structure. La part du sommeil profond diminue au profit du sommeil léger. C’est une mutation absolument normale : on passe à cet âge du sommeil de l’enfant à celui de l’adulte. C’est donc un facteur possible d’insomnie puisqu’il y a plus d’éveil dans la nuit.
Et puis, environ un tiers des jeunes peuvent connaître à partir de la puberté un autre phénomène, un "retard de phase du sommeil". Ils ont du mal à s’endormir avant 23 heures ou minuit. C’est un décalage physiologique sans doute en relation avec l'évolution hormonale. Une fois qu’ils sont endormis, leur sommeil est bon, mais comme à l’adolescence on a encore besoin de dormir en moyenne 9 heures par nuit et qu’il faut se lever tôt pour aller en cours, vous cherchez l’erreur : cela donne des gens qui piquent du nez sur leurs cours car ils ne dorment pas assez.
Que peut-on faire si l’on a ce problème et que l’on n’arrive pas à s’endormir tôt ?
Déjà, on peut essayer de ne pas aggraver les choses avec des comportements de couche-tard : regarder un film après avoir travaillé, ou se mettre sur Internet après 23 heures… Ce n’est pas facile car notre mode de vie nous propose beaucoup de loisirs en soirée. Cela ne sert à rien non plus de se coucher à 21 heures, car quand votre horloge biologique est décalée, vous ne pouvez plus vous endormir tôt.
Il y a donc un juste milieu à trouver en semaine pour se coucher au moment où l’on a sommeil, mais pas trop tard quand même. On peut alors récupérer le week-end, en dormant par exemple jusqu’à 11 heures le samedi ou le dimanche mais pas plus tard non plus, car sinon, on ne parvient pas à s’endormir le dimanche soir et le cercle vicieux s’aggrave. On peut alors inverser complètement ses rythmes.
Voyez-vous des jeunes à qui cela arrive et que leur proposez-vous ?
J’en vois, et je leur propose une technique qui a fait ses preuves, la chronothérapie : cela consiste à se décaler encore plus de 3 heures en 3 heures (car il est plus facile de retarder son sommeil que de l’avancer) chaque jour, sans faire de sieste supplémentaire, jusqu’à ce qu’ils retrouvent des horaires de coucher adaptés à leurs activités. Bien sûr, il faut choisir le bon moment pour faire ça.
Et ensuite, pour maintenir cet horaire de coucher, on utilise la luminothérapie qui consiste à s’exposer à une forte lumière le matin : soit la lumière du soleil, soit celle d’une lampe de forte intensité que l’on peut poser à côté de soi par exemple au petit-déjeuner. Ce bain de lumière informe notre cerveau et permet de synchroniser notre horloge biologique sur le rythme jour-nuit : cela bloque la sécrétion de l’hormone de l’endormissement, la mélatonine, le matin, et cela la stimule le soir.
C’est d’ailleurs une méthode que l’on peut utiliser à la rentrée, après des vacances où on a pris l’habitude de se coucher très tard. Quelques jours avant, il faut maintenir une heure de réveil fixe assez matinale et s’exposer à la lumière. On crée ainsi une petite dette de sommeil et l’on peut avancer progressivement l’heure de l’endormissement.
Pourquoi déconseille-t-on d’avoir un écran d’ordinateur dans sa chambre ?
Si vous savez éteindre votre ordinateur et que vous dormez suffisamment, alors vous pouvez avoir tous les écrans que vous voulez. Mais souvent, les ordinateurs interfèrent sur le sommeil de deux façons. D’abord, la lumière des écrans a tendance à bloquer la sécrétion de mélatonine, exactement comme la lumière du matin, et donc cela retarde l’endormissement. Si vous êtes sur ordinateur tous les soirs tard, votre horloge interne se décale. C’est un peu comme si vous habitiez Paris, mais que votre rythme biologique soit sur le milieu de l’Atlantique ou sur les Antilles !
Avec Internet, il y a une autre difficulté, psychologique cette fois : c’est très difficile de s’arrêter car c’est une activité sans fin. Une recherche vous conduit à une autre puis à une autre, et c’est pareil avec le tchat. Si c'est votre cas, ce peut être bien d’avoir une chambre réservée au sommeil et au travail. Le cerveau s’y retrouve mieux car il n’aime pas trop le mélange des genres ; il interprète la chambre et le lit comme des signaux de sommeil, un peu comme la toilette, le brossage de dents, la mise en pyjama : ces rituels du coucher aident à s’endormir.
Quels sont les autres problèmes de sommeil des jeunes que vous rencontrez ?
Je vois beaucoup de jeunes stressés par leurs études. Jusqu’à un certain point et sur des périodes limitées, le stress est normal et stimulant. Mais certains éprouvent une anxiété supérieure à la moyenne et cela gêne leur endormissement, car ils ressassent leurs soucis. Ils subissent une pression scolaire importante, et certains élèves plus inquiets que d’autres pour leur avenir, avec peut-être un milieu familial qui le favorise, construisent une "anxiété de performance".
Que conseillez-vous contre ces insomnies de stress ?
J’oriente vers les techniques psycho-physiologiques de détente et de relaxation. Si c’est bien fait, c’est efficace et sans danger. Je donne aussi des conseils d’hygiène de sommeil : il faut arriver à décrocher de ses cours et de son travail suffisamment tôt en soirée pour faire des activités détendantes, essayer de s’occuper l’esprit avec des choses qui permettront "d’éteindre la lumière".
Le sport régulier pratiqué en journée, et non en soirée, a aussi de bons effets sur le sommeil, il l’approfondit. Enfin, j’encourage à discuter de ce stress avec son entourage, éventuellement familial.
Parlons des nuits blanches : c’est un ''sport'' que pratiquent pas mal de jeunes pour faire la fête…
Le grand danger de la nuit blanche, c’est que nous avons tous une forte tendance à l’endormissement vers 3-4 heures du matin, quand notre courbe de température est au plus bas. Je conseille donc à ceux qui sortent de dormir sur place.
Beaucoup de jeunes commencent à s’organiser pour l’alcool, mais il faut savoir que même si on n’a pas bu, nous avons tous ce creux de vigilance dans la nuit, et que c’est le plus mauvais moment pour prendre le volant.
L’alcool a aussi tendance à faciliter l’endormissement, mais il provoque des réveils dans la nuit : cela donne un sommeil fractionné de mauvaise qualité.
Certains veillent aussi pour étudier et disent qu’ils travaillent mieux la nuit, qu’en pensez-vous ?
Souvent, c’est parce qu’ils sont plus au calme et plus concentrés. Si quelqu’un travaille tard parce qu’il est du soir, qu’il a des résultats scolaires satisfaisants et se sent bien la journée, pourquoi pas ? C’est à chacun de se connaître.
A présent, si les nuits blanches et les privations de sommeil sont trop fréquentes, il y a des effets délétères. Par exemple, les capacités intellectuelles de concentration, d’attention et de mémorisation sont amoindries car on consolide les apprentissages en dormant. Et puis, on sait maintenant que le manque de sommeil peut favoriser des prises de poids ou des obésités. La nuit, il se passe énormément de choses pour la régulation de la santé et quand on touche aux rythmes du sommeil, on touche à énormément de fonctions.
Justement, comment trouver le bon rythme de sommeil ?
Il faut simplement adapter son comportement à sa typologie : des questionnaires permettent de savoir si on est du matin ou du soir par exemple, ou si l’on est un court ou un long dormeur. Un assez grand nombre de jeunes sont plutôt du soir, mais si vous êtes du matin et que vous avez un travail à finir, il vaudra mieux vous coucher plus tôt pour le faire le lendemain matin.
Pour savoir de combien d’heures de sommeil vous avez besoin, couchez-vous un jour quand vous êtes fatigué et levez-vous sans réveil : si vous êtes en forme dans la journée, c’est ça la référence. Quelqu’un peut dormir 5-6 heures par nuit et fonctionner très bien dans la journée. D’autres ont aussi besoin de sieste, pourquoi pas ? Notre horloge biologique la permet en début d’après-midi et si vous en avez la possibilité, la sieste compte dans le temps de sommeil quotidien.
Quand vous avez trouvé votre rythme, essayez simplement d'être le plus régulier possible pour ne pas désorganiser vos horloges internes.
Y a-t-il des ''recettes'' pour éviter les insomnies ?
Les insomnies peuvent avoir des causes diverses : un décalage de phase, l’alcool, le café, une chambre trop bruyante ou surchauffée, le stress, des nuits blanches, une addiction aux jeux vidéos… Ce qui compte, c’est de connaître les pièges qui vous concernent et d'adopter alors la consigne adaptée : par exemple, ne pas prendre de boissons excitantes si vous êtes sensible à la caféine.
Si votre sommeil ne va pas bien dans la durée et que vous n'en voyez pas la raison, il faut en parler à votre médecin, car cela peut être le signe de difficultés psychologiques et de troubles de l’humeur qu’il pourra traiter.
Mais dans l’ensemble, les difficultés de sommeil rentrent dans l’ordre avec une bonne hygiène de vie. C’est important car il serait dommage de se fabriquer des insomnies alors qu’on va rentrer dans la vie adulte : cela pourrait perdurer très longtemps ensuite et le sommeil, c’est tellement bon...
Pour en savoir plus
- Un guide pratique : Dormir, ça s'apprend ! Dans ce livre-guide, l'explication des mécanismes du sommeil (cycles, besoins, fonctions), des tests et questionnaires pour découvrir quel dormeur vous êtes et le rythme qu'il vous faut, des réponses à des problèmes concrets d'insomnies et des conseils 'spécial 15-25 ans' : sommeil et réussite des études, nuit blanche mode d'emploi, addiction aux nouvelles technologies ...